Comte à rebours

lundi 27 janvier 2014

CA de Paris - 18.05.2013 - Faut pas abuser !

Cet arrêt est "amusant" car il prouve que ce que l'on fait hors de chez soi peut nous retomber sur le coin du nez !

En substance, la société J.. a déposé une demande de brevet EP revendiquant la priorité d'une demande GB. Sur la base de la demande EP, la société J.. a fait procéder à des constats d'huissier, saisies-contrefaçon, et assignations au fond.

Rien que de très normal, finalement. C'est bien à ça que sert un brevet non ? En première instance, la société J.. a été déboutée de ses demandes, et condamnée à verser des dommages-intérêts pour... procédure abusive !

Ce à quoi elle rétorque que le fait d'assigner et de pratiquer des saisies-contrefaçon sur la base d'un brevet, même frappé d'opposition, ne peut constituer en soi une faute. Et, à priori, on aurait plutôt tendance à dire : ben oui, qu'est-ce que vous répondez à ça ?

La réponse arrive, au grand dam de la société J.. Par son comportement dans la procédure anglaise, ainsi que dans la procédure européenne, il est considéré que la société J.. ne cherchait pas à protéger son activité, mais plutôt à nuire à la concurrence, en adaptant les revendications dans le but de caractériser une contrefaçon par équivalence !

A tel point qu'au cours de l'opposition, ces modifications l'ont conduit à étendre la portée de la protection au delà du contenu de la demande telle que déposée. Et là, paf, faut pas toucher à 123(2) CBE ! Le brevet a été révoqué en recours sur opposition (T69/08).

Par conséquent, il a été décidé que la procédure en contrefaçon était abusive...

La décision ici ! 

Argumentation de la société J...
"À l’appui de leur appel, les sociétés [...] font valoir que le fait d’assigner et de pratiquer des saisies-contrefaçon sur la base d’un brevet frappé d’opposition, mais en vigueur, ne peut constituer en soi une faute, que chaque saisie-contrefaçon avait un objectif propre, celui de rapporter la preuve d’actes de contrefaçon distincts commis par chacune des sociétés visées et de déterminer l’ampleur du préjudice, et non, comme l’a retenu le Tribunal, d’exercer des pressions sur une filiale et un client de la société M.., que les oppositions n’ont été formées qu’après les saisies-contrefaçon, soit le 24 mai 2005 par la société belge C.. et le 13 juillet 2005 par la société M.., et que les modifications du brevet effectuées à la demande de l’examinateur n’ont pas eu pour objet d’incriminer les machines M..."

Réponse des intimés
"La société M.. expose, quant à elle, que les sociétés J.. [...] ont introduit une action en contrefaçon de brevet par pure mesure de rétorsion et de manière totalement déloyale et artificielle, multiplié les mesures de constat et de saisie-contrefaçon, et initié à son encontre une procédure parallèle au Royaume-Uni, que le brevet européen n’a été déposé et modifié par la société J.., non pour développer sa propre activité, mais pour obtenir un monopole afin de gêner la concurrence et nuire à l’activité de la société M.., que les assignations n’ont eu pour but que de bloquer la commercialisation des machines arguées de contrefaçon alors que les sociétés J.. [...] ne pouvaient se méprendre sur l’étendue de leur brevet au vu des différents griefs soulevés sur sa validité, dès le mois de mai 2004, dans la procédure anglaise."

Et la parole est maintenant au tribunal...
"Cependant, une procédure était déjà pendante entre les parties depuis le 5 mars 2004 en Angleterre pour contrefaçon du brevet anglais de la société J.. alors que la demande de brevet européen correspondante n’était pas encore délivrée, et il ressort tant du déroulement de la procédure d’obtention de ce brevet européen que de la procédure d’opposition devant l’OEb que la société J.., informée des risques de nullité de son brevet en raison des différents griefs de nullité opposés dans la procédure anglaise, modifiait les revendications de son brevet, aux fins d’y faire correspondre les machines commercialisées par la société M.. et les rendre de ce fait contrefaisantes comme cela résulte des termes de ses demandes de modification en date des 4 mars 2004, 11 mars 2004 et de son brusque retrait le 5 juillet 2004 de son accord de validation, en raison d’une antériorité pertinente qui lui était opposée dans la procédure anglaise et de son ultime modification des revendications du 27 juillet 2004.
Ces modifications intervenues dans le but de caractériser une contrefaçon par équivalence des machines de la société M.. qui l’ont conduite à étendre la portée du brevet au-delà du contenu d’origine et son invalidation
, pour lui permettre de fonder sa procédure en contrefaçon initiée devant le tribunal de grande instance de Paris, revêtent un caractère abusif à l’égard de cette dernière procédure.


Ce caractère abusif est corroboré par le fait que la société J.. a cherché à évincer la société M.. du marché des engins télescopiques en lançant dès 2008 sa marque [...] contrefaisant la marque [...] de la société M..., faits pour laquelle elle a été condamnée.

C’est donc à bon droit que le Tribunal a considéré que la procédure en contrefaçon exercée dans de telles circonstances est abusive."



samedi 18 janvier 2014

CA de Paris - 11/12/2012 - Pas de vacances scolaires pour les juges !

Cette décision, plus tout à fait récente, rappelle que la voie de requête prévue à l'article L.615-3 du CPI ne peut être utilisée que lorsque l'urgence le justifie.

Les juges, passablement énervés par la légèreté de la société ayant requis des mesures d'interdiction et de communication, lui font la leçon sur un ton qui ressemble à une petite engueulade...

En bref, la société N., considérant que des produits supposés contrefaisant allaient être mis sur le marché avant la date d'expiration du CCP, a sollicité par voie de requête des mesures d'interdiction et de communication. Les justifications invoquées étaient, en gros, que la présence de ces produits contrefaisant causeraient à la société N. un dommage vraiment irréparable et que la durée restante avant l'expiration du CCP ne permettait pas qu'une décision contradictoire soit rendue.

Les juges sont moyennement de cet avis...

La société N. se justifie ainsi :

"Compte tenu de la date d'expiration du CCP [...] et des jours chômés, une décision contradictoire ne pourrait être rendue avant qu'une partie significative de la durée restante du CCP ne soit écoulée. Il est d'ailleurs permis de penser que l'espoir que des mesures efficaces ne puissent être prises avant l'expiration du CCP est précisément à l'origine du lancement prématuré des produits argués de contrefaçon."

Les juges montrent tout d'abord leur agacement :

"Considérant que la Cour constate que les sociétés [...] qui ont versé aux débats 68 pièces n'ont pas cru devoir lui communiquer la requête à l'origine de la présente procédure,  que ce défaut de production est préjudiciable à l'examen du dossier; qu'il caractérise la négligence de celles-ci et leur légèreté à l'égard de la Cour;"

Et un peu plus loin :

"Considérant que [...]; que dans leur dernières conclusions, les sociétés N. ont cru devoir rajouter qu'il y avait des week-ends et des jours fériés et des vacances scolaires;"

On sent bien un léger agacement. Qui se confirme dans la suite par un petit, comment dire... rappel de cours :

"Considérant toutefois qu'il peut leur être rappelé qu'il existe une procédure urgente de référé d'heure à heure permettant de respecter le contradictoire dans un délai raccourci; qu'au surplus, les juridictions sont susceptibles de donner des dates d'audience en urgence notamment le week-end ou les jours fériés et que les vacances scolaires n'ont pas d'effet sur cette possibilité [...] que c'est si vrai que leurs adversaires ont dès la signification de l'ordonnance d'interdiction saisi le juge d'une demande de référé rétractation d'heure à heure qu'ils ont obtenu; que le juge à entendu les parties le 29 octobre 2011 [...] que la Cour constate que le 29 octobre était un samedi et le jour du délibéré était la veille d'un jour férié".